Identifier et valider des solutions pour maintenir une activité d'élevage dans les marais ou prairies humides et préserver ces milieux fragiles. Voilà l'ambition du projet « Préservation de l’élevage extensif en milieux humides ». « Les enjeux sont doubles : d'un côté, un secteur économique en crise et de l'autre une artificialisation des zones humides avec un impact important sur la biodiversité mais aussi sur les services rendus par ces milieux (épuration des eaux, séquestration du carbone, régulation des inondations...) » explique Florence Thinzilal, responsable du projet et coordinatrice du pôle agroécologie au Forum des Marais Atlantiques. « Une alliance serait bénéfique aux deux parties, éleveurs et milieux humides, car il peut être plus difficile d'entretenir ces zones si elles n’accueillent pas d'activité économique. » À l'origine de cette MCDR : la publication, fin 2017, d'un rapport du CGAAER et du CGEDD qui recommandait de mettre en oeuvre des projets territoriaux de développement durable entre éleveurs et collectivités intégrant des milieux humides afin de « développer l'élevage extensif et reconquérir la biodiversité ». Pour expérimenter cette démarche, trois sites pilotes ont été identifiés : les marais du Cotentin et du Bessin, le marais de Brouage et la plaine maritime de la Baie de Somme.
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Portées par des partenariats entre Chambres d'agriculture et collectivités, les expérimentations réunissent entre une vingtaine et une cinquantaine d'éleveurs. Leurs travaux portent sur de nombreux sujets : adaptation et valorisation des pratiques d'élevage, valorisation des produits, évolution des systèmes d'aides publiques... « Par exemple, l'Université de Caen étudie et valorise, auprès des éleveurs, les services écosystémiques rendus par les prairies des marais du Cotentin et du Bessin. En parallèle, ce site travaille sur l’expérimentation du dispositif PSE (Paiement pour services environnementaux) financé par l’Agence de l’eau Seine-Normandie sur une partie de son territoire », illustre Florence Thinzilal. Autres exemples : le marais de Brouage a lancé la 1re association foncière pastorale en zone humide et les éleveurs picards développent une filière viande bovine sous la marque Baie de Somme Saveurs. Sur les trois territoires, un accompagnement des éleveurs dans le renforcement de leurs pratiques de pâturage est déployé, basé sur la démarche Pâtur’Ajuste.
Les sites pilotes sont par ailleurs engagés dans des réflexions sur la mise en oeuvre d’un dispositif de rémunération, basé sur un engagement collectif d’éleveurs autour d’enjeux relatifs à l'entretien des réseaux hydrauliques tertiaires, à la gestion raisonnée du parasitisme ou des pratiques de fauche des prairies. « Il existe des mesures agro-environnementales (MAEC) collectives en France mais elles ne sont pas applicables dans les territoires tests. L’objectif est de proposer aux pouvoirs publics l’expérimentation d’un mécanisme complémentaire pour répondre aux attentes des éleveurs et gestionnaires des milieux humides. Favorisant l’engagement des éleveurs pour des pratiques agroécologiques innovantes, ces contractualisations collectives apporteraient également une plus-value environnementale supérieure à celles des actions individuelles. »
© M.Franquin/SMBS-GLP
"Impliquer davantage les agriculteurs et créer un véritable projet de territoire "par Matthieu Franquin, chargé de projet agro-environnement, |
"Être recommandé comme site pilote a été une reconnaissance des actions que nous menons depuis 2012 en faveur de la préservation de nos zones humides et le maintien de l'activité d'élevage sur ces territoires. Notre participation est aussi l'opportunité de poursuivre notre dynamique, d'impliquer davantage les agriculteurs et de créer un véritable projet de territoire. La Baie de Somme est un site de plus de 20 000 ha, dont 7 500 sont des prairies humides utilisées pour l'élevage : bovins, agneaux de prés salés et chevaux. L'élevage joue un rôle primordial dans la préservation écologique de ce milieu et le maintien des paysages. Sans les éleveurs, le maintien de ces écosystèmes très riches en biodiversité aurait un coût très élevé et des espèces comme le Vanneau huppé déclineraient. L'alliance a fonctionné pendant des siècles mais aujourd'hui le monde de l'élevage est en difficulté économique et doit être soutenu.
Parmi nos projets emblématiques : la création de la marque Baie de Somme Saveurs à l'initiative d'un groupe d'éleveurs, du Conseil départemental et de la Chambre d'agriculture. Son cahier des charges est strict : la production doit être locale (avec des animaux élevés en prairies humides pendant au moins deux
ans), durable (au moins 50% des prairies en MAE), respectueuses des paysages, etc. La commercialisation a débuté à l'automne 2020 avec l'ambition de voir la viande sur les étals de boucheries traditionnelles et de la grande distribution. Et nous menons bien d'autres actions : fermes pilotes sur l'évolution des systèmes fourragers et la valorisation du pâturage, protocole de réduction des traitements antiparasitaires, remise en pâturage de propriétés publiques..."
"Tout le monde participe au bon
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"Arrêter l'élevage c'est abandonner le marais. Sans les animaux, les prairies humides deviennent des friches où les ronces et prunelliers remplacent l'herbe avec comme conséquences une perte importante de la biodiversité, le développement des moustiques, l'arrivée de sangliers, la baisse du niveau d'eau... Éleveurs, association foncière pastorale, syndicats de marais, syndicats mixtes, collectivités... Tout le monde participe au bon fonctionnement du marais.
Le rapport de 2017 a souligné la cohérence et la force des acteurs du marais de Brouage. Nous sommes notamment à l'origine de la première association foncière pastorale en zone humide de France. Créée début 2019, elle a pour objectif de réunir tous les propriétaires du marais (exploitants ou non) afin de gérer collectivement son développement, son entretien et l'activité agricole. L'association est un succès : 90% des propriétaires du marais en font partie. Autre projet de notre territoire : le développement d'un atelier collectif de découpe et de transformation de la viande. Cette structure est nécessaire pour développer les circuits courts (magasins de producteurs, vente directe) et alimenter les cantines scolaires. Nous étudions également différentes pistes pour valoriser la viande issue de l'élevage en marais. Dans cette optique nous regardons de près le développement de la marque Baie de Somme Saveurs. C'est tout l'intérêt des projets collectifs comme les MCDR : voir ce qui fonctionne et s'enrichir des expériences de chacun."