Au Salon de l’Agriculture, le 1er mars dernier, l’association citoyenne et paysanne Terre de Liens présentait son premier rapport sur l’état des terres agricoles en France. L’occasion pour experts, agriculteurs et co-auteurs de témoigner sur les phénomènes d’artificialisation et de concentration des fermes et d’échanger sur la question du renouvellement des générations en agriculture.
État des terres agricoles en France – 2022 © Sandrine Mulas
« Devenir paysan relève, aujourd’hui encore, du parcours du combattant » a souligné Jérôme Deconinck directeur de la Fondation Terre de Liens, en guise de propos liminaire. Cet amer constat aura motivé la rédaction du rapport sur les terres agricoles par lequel le directeur et Terre de Liens « souhaitent alerter les acteurs, les pouvoirs publics et les collectivités sur la nécessité de freiner les spéculations galopantes et la déprise rurale. »
En cause dans cette situation alarmante, des dynamiques d’artificialisation sont à l’œuvre, comme le rappelle le trésorier de la Fédération Nationale, Eric John : « À l’heure actuelle, pas loin de 200 fermes disparaissent chaque semaine. La France artificialise chaque année entre 50 000 et 60 000 hectares, ce qui constitue une surface comparable à la capacité à nourrir une ville comme Le Havre. » Alors que, comme le mentionne le rapport, d’ici 10 ans, au moins 25% des agriculteurs partiront à la retraite, il est temps de repenser durablement le modèle agricole français : « Il en va de notre souveraineté alimentaire mais également de la préservation de la biodiversité, du stockage du carbone, de la régulation des cycles de l’eau, a rappelé Tanguy Martin, responsable de plaidoyer à Terres de Liens. C’est tout un patrimoine commun qui se retrouve mis en péril. Nous avons 10 ans pour redessiner notre paysage agricole. » Pourtant, les candidats à l’installation ne manquent pas : « Chaque année, plus de 20 000 personnes se présentent à nos points info installation. 60% d’entre elles ne sont pas issues du monde agricole », précise Coline Sovran, chargée de plaidoyer. À travers sa Foncière, Terre de Liens accompagne et soutient ces nouveaux arrivants confrontés à de nombreux freins, à commencer par l’aspect financier : « Aujourd’hui, l’actif total d’une ferme s’établit en moyenne à plus de 470 000 euros, tandis que le coût de l’hectare a plus que doublé en 20 ans. Autre problème : des fermes à la reprise qui sont trop grandes, très mécanisées, donc onéreuses, et qui ne correspondent pas aux projets de la nouvelle génération de paysans. » En atteste le parcours d’Emeric Ducaux, producteur de fruits rouges à Rioufreyt, village de Haute-Loire, venu témoigner : « Ne venant pas du milieu, il m’a été difficile de trouver une parcelle qui me convenait. Souvent, la surface était bien trop grande et le budget trop élevé. J’ai fini par trouver mon bonheur sur Objectif Terres, une sorte de "Bon coin paysan" développé par Terre de Liens. Je cultive aujourd’hui sur une parcelle de 6 hectares en parfaite adéquation avec ma production biologique. »
|
![]() |
Dimension peu prise en compte par les politiques publiques, la transmission d’une exploitation est aussi un engagement émotionnel pour des paysans qui nourrissent un véritable attachement à leur terre. C’est de ce lien émotionnel dont a parlé Bernard Béranger, agriculteur à Manthelan, Indre-et-Loire. Aucun de ses enfants ne souhaitant reprendre l’exploitation familiale, ancienne de quatre générations, il a pu, grâce à Terre de Liens, faire la rencontre d'un jeune homme cherchant à s’installer en agriculture, qu’il accompagne aujourd’hui en lui transmettant son savoir-faire et son amour de la terre.
À l’heure où la sécurité alimentaire et les circuits courts occupent les débats politiques, la question de la gestion des terres agricoles se pose avec une acuité inédite. Maurice Desriers, statisticien agricole et membre de Terre de Liens, a apporté son éclairage : « Sur les 27 millions d’hectares de surfaces agricoles de la France métropolitaine, 21 suffirait pour nourrir la population. Autosuffisante en matière de production alimentaire, la France importe pourtant l’équivalent de 9 millions d’hectares agricoles et consacre 12 millions à l’exportation… »
Avant la séance de questions-réponses qui clôtura la conférence, Tanguy Martin a rappelé l’éventuelle vulnérabilité de notre système alimentaire qui nécessite, selon lui, de repenser la législation en vigueur. « Les années à venir se révéleront cruciales pour protéger et préserver nos terres. Nous encourageons la mise en place d’un moratoire sur les nouvelles zones constructibles. La fiscalité foncière devrait être également repensée. Aujourd’hui encore, lorsqu’une terre agricole devient constructible, c’est une aubaine financière. Ce n’est plus possible ! Il faut redonner toute sa cohérence à la régulation du foncier et la réorienter vers une transition agro-écologique et la constitution d’une économie qui produit de l’emploi et de la valeur ajoutée sur les territoires en fournissant une alimentation saine et durable à toutes et à tous. »
Réseau rural français - Kogito