Après la réalisation d’audits et d'enquête de terrains, le projet Expo’phyto porté par la DRAAF Occitanie va entrer dans une phase de réflexions et de concertations. Marianne Redon, directrice de l’Association patrimoniale internationale (API), nous parle de la méthodologie utilisée dans le cadre de ce projet de facilitation territoriale consacré à la problématique de l’exposition aux produits phytosanitaires dans l’air. L’occasion également de partager les témoignages de deux territoires occitans pilotes : la Communauté d’agglomération du Sicoval et le Pays Cœur d'Hérault.
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En quoi la méthode portée par votre association est-elle pertinente pour la problématique traitée par Expo’phyto ?
Marianne Redon : Notre approche « patrimoniale » a pour objectif d’apporter des réponses méthodologiques à des situations complexes. Elle repose sur des méthodes destinées à mobiliser les acteurs, par étapes successives, afin de leur faire élaborer une analyse partagée du problème et de la manière de le prendre en charge. Nous la mettons en œuvre dans le cadre de problématiques liées à la gestion de l’eau, à la qualité des sols, à l’aménagement du territoire, à la biodiversité et à tous les sujets relatifs au vivant… Le sujet du projet Expo’phyto, l’exposition des phytosanitaires dans l’air, fait partie de ces situations complexes. Il met en jeu de nombreuses dimensions : la santé, l’économie agricole, l’environnement, le vivre ensemble…
Sur quoi est fondée votre approche ?
D’abord sur une écoute en profondeur des acteurs : sur les questions sensibles comme celles des pesticides, cela permet d’aller au-delà des postures de principes. Notre méthode est ensuite sécurisée par un ensemble de principes énoncés à tous dès le départ. Nous garantissons par exemple une confidentialité stricte afin que tous les acteurs se sentent en confiance et puissent s’exprimer librement. C’est indispensable pour des sujets où il y a des tensions de voisinage voire politiques. Un autre principe est que les commanditaires restent maîtres des résultats et de leur diffusion. Enfin, nous progressons pas à pas : nous ne mettons pas dès le départ les acteurs en configuration de groupe : il y a souvent trop de tension et les discussions seraient non constructives. Nous organisons d’abord des entretiens individuels – les audits patrimoniaux réalisés dans la première partie d’Expo’phyto, puis des rencontres en groupe, baptisées « Séminaires de rencontre active ».
En quoi consistera la suite du projet Expo’phyto ?
Nous préparons actuellement les rencontres en groupe. Si tous les signaux sont au vert, elles débuteront d’ici la fin de l’année 2021. À nouveau, nous progressons de manière prudente : nous allons d’abord réunir les acteurs par famille, ceux qui sont issus d’un même contexte d’engagement ou professionnel. Notre objectif est de préparer les futures réflexions : qu’à la fin, tous les acteurs soient ouverts à des échanges avec les autres familles. Lors de ces séminaires, nous allons leur demander les problèmes qu'ils rencontrent et ce qu’ils envisagent comme actions dans la perspective de partager leur analyse aux autres familles. Une fois ce travail réalisé par tous, nous allons croiser les réponses afin de déterminer les points de convergence. Finalité : que les acteurs s’accordent sur ce qu’ils ont envie de mettre en œuvre dans leur territoire pour prendre en charge ce problème et qu’ils aboutissent à la réalisation d’une charte. Ce document identifiera de manière claire un dessein commun sur leur territoire et les grandes actions que les acteurs souhaitent porter ensemble.
Que faut-il faire pour que les acteurs d’un territoire réussissent à co-construire ?
Pour y parvenir nous avons trois grands principes. Le premier est de respecter l’identité de chacun. Une des manières de le faire est d’accorder un réel intérêt à ce que les acteurs vivent et ont besoin de dire. Notre 2e principe est de respecter la liberté d’engagement de tous. Cela signifie que chaque acteur peut entrer dans le processus mais aussi en sortir dès qu’il le souhaite. Nous nous attachons à ce que les personnes participent en toute liberté. Enfin, le dernier principe est de chercher ce qui suscite le désir des acteurs pour qu’ils aient envie de co-construire.
« Résoudre un problème complexe grâce à l’écoute, la concertation et la co-création »
Témoignage de Rémi Dutard, directeur de la Transition Écologique et des Mobilités, Communauté d’agglomération du Sicoval
« Sur le Sicoval, l’agriculture représente près de 60% de la superficie de l’agglomération. Nous avons 260 exploitations, en majorité en grandes cultures (céréales, oléagineux et protéagineux). Nous sommes un territoire périurbain. Comme beaucoup d’habitations sont à proximité des terres agricoles, la question des produits phytosanitaires dans l’air est une vraie problématique pour notre territoire. Bien que nous ayons encore peu de connaissances sur les pesticides présents dans l’air, leur quantité et leurs impacts, ce sujet est générateur de nombreuses tensions entre agriculteurs et riverains. Elles se sont notamment accentuées depuis que des distances de sécurité ont été instaurées, sans réel débat local, entre les zones traitées et les bâtiments habités. Quand la DRAAF Occitanie est venue nous présenter Expo’phyto, il y avait donc un véritable besoin de renouer le dialogue entre les agriculteurs et le reste de la population. Le projet arrivait à point nommé et s’intégrait parfaitement à notre culture de la concertation. Pour les élus du territoire, le bilan du projet est très positif : ils ont pu monter en connaissances et compétences sur le sujet et souhaitent vivement poursuivre le travail. Ils ont également pris conscience qu’ils pouvaient résoudre ce problème complexe grâce à l’écoute, la concertation et la co-création. Nous souhaitons intégrer Expo’phyto 2 et sa démarche de concertation dans une stratégie plus globale qui est notre projet alimentaire de territoire (PAT). L’idée est d’être davantage cohérent et de ne pas multiplier les espaces de discussion. Expo’phyto 2 devrait bientôt débuter avec le lancement de séminaires de concertation afin d’aboutir à un plan d’actions commun. Parmi les actions que nous étudions, il y a la mise en place de cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) sur les zones tampons entre les surfaces agricoles et les habitations afin d’éviter que ces zones soient une perte pour les agriculteurs. Mais le plan d’actions, bien qu’important, est aussi un bon prétexte pour créer un espace d’échanges et de discussion pérenne sur le territoire. »
« L'intérêt d'Expo'phyto ? Mettre tout le monde autour de la table »
Témoignage de Thierry Laniesse, directeur général des services, Syndicat mixte de développement local du Pays Cœur d'Hérault
« Il y a une très forte dominante viticole sur le Pays Cœur d’Hérault. Nous pouvons même parler de monoculture. Bien qu’il y ait une progression importante de l’agriculture biologique ces dernières années, la viticulture reste une agriculture où l’on intervient beaucoup, même en bio. Nous avons commencé à nous intéresser aux phytosanitaires d’abord sous le prisme de la santé des agriculteurs. Ce sont eux qui sont les plus exposés : des agriculteurs ont passé leur vie à traiter et, si les liens de cause à effet ne sont pas établis, certains ont développé des maladies comme le cancer. En parallèle, beaucoup de nouveaux habitants se sont installés sur notre territoire, parfois à proximité immédiates des vignes. Cette nouvelle population ne connait pas bien le fonctionnement du monde agricole. Conséquence : de véritables tensions entre agriculteurs et riverains. Ayant pris conscience de ce problème, les élus ont souhaité s’engager dans Expo’phyto. L’intérêt du projet est de mettre tout le monde autour de la table. Il permet d’écouter tous les acteurs et de prendre conscience de leur point de vue et problématiques, comme la nécessité de traiter au souffre ou au cuivre (bouille bordelaise) même quand on est viticulteur bio. Les élus souhaitent aujourd’hui poursuivre le projet et débuter le cycle de séminaires d’ici la fin de l’année 2021. L’objectif de cette 2e phase est d’aboutir à une chartre territoriale qui servira de fondation à un programme d’actions co-construit par tous les acteurs. Quand les règles, restrictions et projets sont issus du terrain, ils sont plus facilement acceptés. »
Réseau rural français - Kogito