Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps : non, la crise sanitaire du COVID-19 n’a pas provoqué un exode des urbains vers les territoires ruraux. « Il est clair qu'il n’y a pas eu d'exode urbain, entre 2019 et fin 2021, au sens où il n’y a pas eu de départ massif ni de départ en proportion croissante de l'urbain vers le rural » confirmait Claire Juillard, sociologue et fondatrice du cabinet OGGI conseil, le 17 janvier dernier. Ce jour-là avait lieu le séminaire de restitution de l’étude nationale « Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles ». Commandée par le Réseau rural national avec le soutien de la PUCA (Plan urbanisme construction architecture), l’étude a été lancée au mois de juin 2021 et opérée par le programme POPSU Territoires. Son objectif ? Déterminer si les confinements avaient créé ou non un phénomène de désertification des villes au profit des territoires ruraux comme l’ont affirmé tant de médias entre 2020 et 2021.
Le Big data : ressource clé de l’étude
Pour répondre à la question trois équipes de recherche interdisciplinaires et aux méthodologies différentes ont été mobilisées (voir encadré). Elles se sont penchées sur les intentions de mobilité résidentielle des Français – où se projettent-ils ? – les déménagements effectifs, les profils de ceux qui partent vers les campagnes et leurs motivations à déménager. Pour mener leurs travaux, les équipes ont bénéficié de données nouvelles : celles de consultation des annonces immobilières en ligne (leboncoin, Meilleurs Agents, SeLoger) et celles sur les contrats de réexpédition de courrier souscrits auprès de La Poste. « Ces données massives (3,5 milliards d'observations statistiques), territoriales et disponibles en temps réel, nous ont permis de relever le défi méthodologique que représentait cette étude : travailler sur un phénomène très récent sans les données du recensement qui arrivent avec 4 ou 5 ans de décalage » souligne Alexandre Coulondre, socio-économiste au LATTS. Ces nouvelles sources de données ont ainsi permis aux chercheurs de faire du nowcasting : des « prévisions en direct » sur les intentions de mobilité résidentielle – grâce aux données de recherches de biens immobiliers et d’estimations en ligne ; et leurs concrétisations avec les contrats de réexpédition de courrier.
La fin d’un mythe
Le 17 janvier, les trois équipes recherches ont ainsi présenté le fruit de leur travail lors d’un séminaire de restitution organisé en présence de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité. Synthétisés dans un rapport de 52 pages intitulé « Exode urbain, un mythe, des réalités », les résultats de l’étude ne montrent pas de bouleversement géographique. « Ce que nous avons observé c’est que les projections de l'urbain vers le rural ne représente que 14% de l'ensemble des projections. Elles n’ont donc rien d’un phénomène massif et sont stables dans le temps : elles n’augmentent pas avec la pandémie » indique Claire Juillard. « Non la crise sanitaire n'a pas provoqué un départ massif des villes vers les campagnes : seulement 18% des déménagements ont pour destination le rural, confirme Julie Le Gallo, professeure en économie à l'Institut Agro Dijon. Elle a plutôt accéléré les départs en provenance des grands centres urbains vers des villes un peu plus petites. »
Une renaissance rurale toujours à l’œuvre
L’étude permet néanmoins de confirmer que le phénomène de renaissance rurale se poursuit : les espaces ruraux, à l’échelle nationale, voient leur solde migratoire augmenter. Les auteurs modèrent toutefois le phénomène : « La renaissance rurale est marquée par une réelle sélectivité géographique : elle ne touche pas tous les territoires ». Le rapport souligne également que d’autres dynamiques géographiques préexistantes à la crise sanitaire ont été renforcées : la métropolisation, la littoralisation (attractivité des façades littorales), la périurbanisation et le desserrement urbain, phénomène de départ des cœurs de villes pour les communes « de grande couronne ».
Qui sont les urbains qui franchissent le pas ?
Enfin, l’étude livre les profils de ceux qui déménagent vers les territoires ruraux. Là encore, les chercheurs battent en brèche les discours médiatiques comme l’explique Aurélie Delage, enseignante-chercheuse en aménagement et urbanisme à l’Université de Perpignan : « Si les profils "cadre-télétravailleur" et "diplômé en reconversion" existent bien, ils ne sont pas les seuls. Il y a également les retraités et pré-retraités, les classes moyennes stables qui s’éloignent des villes à cause des prix de l’immobilier, et enfin les populations en quête d’un mode de vie alternatif. » Parmi les facteurs qui ont poussé ces ménages à franchir le pas citons, par exemple, le rejet de la ville ou l’éco-anxiété, la généralisation du télétravail ou encore l’envie d’avoir un extérieur.
Les 3 équipes de recherche
Réseau rural français - Kogito